CONDUIRE LE CHANGEMENT EN EXPERIMENTANT

Expérimenter d’abord


L’expérimentation, que l’on nomme aujourd’hui plutôt innovation, est à la fois un alibi au changement et une soupape de sécurité pour ne pas désespérer ceux qui y croient encore (ne pas désespérer les « Billancourts éducatifs »). Au final, c’est une forme de « mitage » du paysage éducatif puisqu’il ne s’agit évidemment pas de généraliser les acquis de ces innovations, parce qu’elles sont très peu évaluées.

L’innovation est ainsi un dispositif parallèle à l’enseignement « normalisé » avec son bureau à l’administration centrale, ses correspondants académiques (CARDIE), et même sa doctrine d’action.

Ce beau programme est édifiant parce qu’y sont décrits les fondamentaux mêmes du métier de professeur : porter « une attention soutenue aux élèves », viser à « leur bien-être » et à la « qualité des apprentissages », en usant de « créativité », avec « méthode », et en s’appuyant sur son « environnement ».

Mais rien d’étonnant au fond parce que le statut de l’innovation dans un système normé comme le système français procède de la compensation. C’est une sorte de stratégie de défense et de justification que le système adopte pour masquer ses faiblesses. La démarche d’innovation décrit un système idéal que le « système normal » ne permet pas, sans se donner les moyens d’y arriver.

Cependant, d’excellentes initiatives existent dans la zone grise dite de l’innovation, souvent à la limite des textes, sans réel contrôle et évaluation.

Faisons sortir le travail des équipes, leurs acquis de la clandestinité. Offrons-leur un cadre grand format qui les « libère », évidemment sur le seul fondement du volontariat, avec des garanties juridiques solides, et surtout l’intention après évaluation d’en faire, si les résultats sont concluants, un cadre « normal » de travail.

Pour que l’expérimentation s’inscrive dans cette démarche de changement, il faut revoir un certain nombre de paradigmes communément admis.

L’expérimentation ne prive en aucun cas le politique de ses prérogatives. Il les situe à un niveau essentiel. Puisqu’il s’agit de déroger pendant le temps de l’expérimentation à des lois et règlements. Le débat au parlement, le dialogue avec les partenaires syndicaux et les collectivités, le mode de choix des projets créent un espace politique fort. Il faut en effet décider politiquement ce sur quoi on expérimente et ce sur quoi on n’expérimente pas, pendant combien de temps ? Quel dispositif d’évaluation est prévu… Le périmètre de l’expérimentation est donc bien un sujet politique.

L’expérimentation doit tester d’autres structures et modalités d’enseignement mais concomitamment d’autres manières de travailler pour les professionnels. Notre système éducatif n’a cessé de promouvoir depuis 20 ans plus de souplesse, d’adaptation, de réactivité pour les élèves en même temps que se rigidifiait la gestion des ressources humaines. Les organisations syndicales, dont c’est la mission, ont ainsi obtenu une consolidation des acquis qui a bien des égards ne sert pas les préconisations pour les élèves. L’expérimentation peut permettre de voir comment articuler ces deux dimensions en acceptant de faire bouger les lignes des deux côtés.

En matière d’expérimentation dans le domaine scolaire, deux voies sont possibles.

L’une, propre à l’éducation, ouverte par l’article L 401-1 du code de l’éducation mais dont la portée reste strictement limitée au seul domaine pédagogique, excluant donc le champ de la RH, et aux seules règles définies par décret, excluant donc notamment le champ de l’organisation des établissements, de la carte scolaire… qui sont du domaine législatif.

L’autre ouverte par l’article 37-1 de la Constitution qui permet, sous certaines conditions, de déroger au principe d’égalité et à ce titre ouvre tous les champs couverts par la loi ou le règlement[1].

Lors de l’élaboration de la loi de refondation de l’école, un article a été rédigé, sur le fondement du 37-1, permettant une large expérimentation sur le rapprochement école-collège (École fondamentale). Il est présenté plus bas. Le champ de l’expérimentation portait sur l’émergence de structures communes (collège et écoles du secteur) ou de gouvernance commune, des enseignements communs, d’autres organisations des enseignements, la possibilité de voir les professeurs des écoles enseigner en collège et réciproquement, une organisation nouvelle du service des professeurs.

Cette démarche d’expérimentation avait pour but de phaser le quinquennat et de donner du temps au temps : il y aurait eu le temps de l’expérimentation (2 années scolaires ?) et le temps de la consolidation juridique. Faire la preuve que les dispositions sont efficaces et applicables avant que d'être traduites dans les textes aurait pu être l'un des principes forts de la refondation car politiquement elle confiait la clé des évolutions aux équipes de terrain en leur redonnant la confiance qui leur manque cruellement. C'était prendre le contrepied de propositions visant à organiser la concurrence entre les établissements et les équipes enseignantes sous la pression d'évaluations sommaires des performances des écoles et établissements.

La démonstration aurait pu être faite par une procédure d'expérimentation à grande échelle que le terrain était prêt à faire bouger les lignes. Les syndicats ne pouvaient pas refuser frontalement cette modalité.

L’UNSA et le SGEN ont largement soutenu cet article du projet. Le SUNI-PP ne s’est pas montré hostile. Le SNES était plutôt contre mais gêné de s’opposer à une « simple » expérimentation appuyée sur un article de la constitution avec les garanties de clarté, de compte-rendu et d’évaluation que cela suppose.

La voie de l’expérimentation par l’article 37 de la constitution doit être ouverte au plus vite pour démontrer après évaluation qu'il est possible de s'organiser autrement et de travailler différemment à l'initiative des praticiens. C’est une démarche de conduite du changement efficace et consensuelle qui donne des garanties à toutes les parties prenantes.


Expérimenter d’autres organisations de l’école primaire


Il n’y a pas de modèle idéal d’organisation de l’école primaire, transposable en France, tellement les archétypes culturels[2] sont prégnants. L’organisation de l’école primaire française a cependant peu évolué depuis 150 ans, restant structurée en classes, certes désormais incluses dans des cycles et un socle. Chaque niveau est conçu comme un palier à franchir par l’élève, qui doit avoir acquis pour cela les savoirs prévus par le programme scolaire. Les rites de passage, manie très française, restent forts : de la maternelle, organisée de façon très souple autour de l’élève, au CP, organisé autour du maître, où il faut rester assis au moins 5 heures en rangs dans une classe, ou encore du CM2, où le même professeur enseigne 9 disciplines, à la 6ème , où 9 disciplines sont enseignées par 9 professeurs.

Ce tableau n’est pas caricatural, il décrit la situation de 90% des écoles en France ; pour les autres, une foultitude d’initiatives qui reposent sur d’autres logiques.

Il en est une, sûrement déjà à l’œuvre, mais qui pourrait faire l’objet d’une expérimentation (article 37-1)[3] construite nationalement autour du principe suivant : « c’est l’école qui porte la responsabilité de prendre chaque élève tel qu’il est et de le faire progresser autant que possible, sans le faire redoubler ou l’orienter dans une filière séparée ». C’est bien ce que l’on demande de faire mais sans se donner les moyens d’y parvenir car pour cela il faudrait pourvoir revisiter l’organisation des écoles et aussi la manière de travailler des professeurs, avec d’autres professionnels par exemple.

Les classes actuelles pourraient évoluer vers des structures plus souples où des groupes d’élèves, non figés, sont pris en charge par plusieurs professionnels autour du professeur pour élargir et individualiser les formes d’apprentissages. Pour cela, il faudrait étoffer les équipes dans le premier degré.

La France reste encore un des rares pays où un professeur intervient quasiment seul dans sa classe, aidé éventuellement par une ATSEM et/ou un ou des ASH. Dans la plupart des grands pays, les apprentissages se font plutôt en petits groupes avec plusieurs adultes.


Mettre les écoles et les collèges en réseaux


L’association écoles-collège, cette alliance territoriale, se noue aujourd’hui avec les conseils écoles-collège mais de façon trop limitée par manque de temps et parce qu’elle repose trop sur les bonnes volontés. Les réalisations communes sont faibles non par manque d’ambitions mais par défaut de moyens, au sens de possibilités d’agir ensemble.

Le regroupement des écoles est une réponse à l’isolement. Il permet, en concentrant les forces, d’agir plus efficacement pour la réussite de tous. Il en est de même en associant plus structurellement écoles et collège pour ancrer dans la réalité du parcours des élèves le cycle de l’école fondamentale. Cette alliance scelle sur un territoire une nouvelle solidarité scolaire symbolisée par la convergence de moyens de plusieurs collectivités vers des entités scolaires désormais associées. Elle donne aux élèves un sentiment d’appropriation de leur parcours scolaire, dont ils perçoivent mieux la continuité.

Autant on pourra considérer en première analyse qu’il y aurait trop de collèges ou d’écoles dans un département, autant, en les mettant en réseaux, l’appréciation peut être différente.

La mise en réseaux ne peut pas être imposée, y compris par la loi, parce qu’elle heurterait inutilement le principe de libre administration et de plus ne répond pas à toutes les situations.

Il serait trop facile de ne s’en remettre qu’à la seule prise de conscience ou la bonne volonté des uns ou des autres. Il faut donc la faciliter.

L’école fondamentale devrait donc pouvoir s’appuyer sur un cadre juridique souple, prévoyant les modalités techniques de coopération (convention d’association, représentation des partenaires, compétences financières…) mais offrant également la possibilité d’expérimenter sur le plan pédagogique (enseignements communs à des élèves du collège et des écoles, adaptation de l’organisation et du contenu des formations dispensées à l’école et au collège, interventions communes ou croisées des professeurs dans l’ensemble des classes du regroupement scolaire… ). Un projet dans ce sens avait été élaboré dès 2012 pour servir de cadre à une expérimentation sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution. Il pourrait être complété par le rôle que pourraient jouer les EPCI. Il devrait aussi intégrer une expérimentation sur d’autres organisations de l’école primaire.

La restructuration des réseaux territoriaux de l’École pourrait ainsi passer par :

-                 Le transfert par la loi aux EPCI de la compétence « enseignement scolaire », dans un calendrier à fixer, pour favoriser le regroupement des écoles. Dans l’attente, la DGF pourrait en tenir compte ;

-                 Un diagnostic partagé entre les collectivités et la communauté éducative sur les performances des petits collèges pour adapter la carte ;

-                 Une mixité scolaire imposée, si nécessaire, aux collectivités par un dispositif de type SRU ;

-                 La mise en réseaux des écoles et des collèges qui doit procéder d’une volonté commune des deux collectivités. Un cadre juridique souple peut servir de cadre à une expérimentation. Là encore, les mécanismes de la DGF pourraient y inciter. 


Projet d’article de loi sur l’expérimentation du rapprochement écoles-collège


Ce texte n’est resté qu’à l’état de projet. Il n’a pas été finalisé. Il n’intègre pas bien sûr l’émergence récente des EPCI.

[ I - A titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, afin de contribuer à assurer la continuité pédagogique de l’acquisition du socle commun des connaissances et des compétences et de culture prévues par l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation, un collège et une ou plusieurs écoles relevant de son secteur de regroupement peuvent faire l’objet d’un regroupement scolaire.

II - Ce regroupement scolaire procède d’une convention conclue entre l’établissement public local d’enseignement, le département, l’autorité académique et la ou les communes ou, le cas échéant, le ou les établissements publics de coopération intercommunale dont relèvent la ou les écoles concernées, après avis de chacun des conseils d’école.

La convention détermine notamment les contributions respectives du département et des communes et établissements publics de coopération intercommunale aux dépenses de fonctionnement du regroupement scolaire, ainsi que, le cas échéant, les modalités de répartition des élèves dans les locaux scolaires du collège et des écoles pendant le temps scolaire.

Cependant, chacun des collectivités ou établissements conserve ses obligations relatives à la construction, la reconstruction, l’extension, les grosses réparations et l’équipement des locaux du collège et de la ou des écoles regroupées.

La convention peut prévoir une représentation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale au conseil d’administration du collège différente de celle prévue au dernier alinéa de l’article L. 421-2 du code de l’éducation.

La convention peut également prévoir les modalités selon lesquelles les directeurs des écoles regroupées sont associés aux décisions relatives à l’organisation du collège en classes et groupes d’élèves, ainsi qu’à la mise en œuvre de son autonomie en matière pédagogique et éducative.

III – Par dérogation à l’article L. 421-5 du code de l’éducation, il est institué un conseil pédagogique du regroupement qui, présidé par le chef d’établissement, comprend les membres du conseil pédagogique du collège, les directeurs et des maîtres des écoles regroupées.

IV - Le conseil pédagogique du regroupement peut proposer au conseil d’administration du collège et au conseil des écoles regroupées que certains enseignements soient communs à des élèves du collège et des écoles. Le conseil d’administration, après avis du conseil des écoles regroupées, détermine les modalités de mise en œuvre de ces enseignements communs. Un décret détermine l’étendue des dérogations susceptibles d’être apportées à l’organisation et au contenu des formations dispensées à l’école et au collège.

V - Par dérogation aux dispositions statutaires qui leur sont applicables, les personnels enseignants peuvent être amenés à intervenir dans l’ensemble des classes du regroupement scolaire. De même, il peut être dérogé aux modalités d’exercice de leurs obligations de service. Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités de mise en œuvre de ces dispositions.

VI – Au cours du semestre suivant l’expiration du délai d’expérimentation mentionné au I, le ministre de l’éducation nationale présente au Conseil supérieur de l’éducation un rapport d’évaluation de l’ensemble des expérimentations menées au titre du présent article. Ce rapport est adressé au Parlement].



[1] L’article 37-1 de la Constitution dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental », le législateur devant « définir précisément la nature et la portée de ces expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l’objet d’une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon ».
[2] Comme le disait Xavier Darcos : « on ne va tout de même pas manger du renne plutôt que du bœuf pour devenir Finlandais »
[3] Cf. Programme STAR (Student/Teacher Achievement Ratio) aux États-Unis ou en Angleterre le projet DISS (Deployment and Impact of Support Staff).

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